La CFTMEA: une classification dimensionnelle

La CFTMEA est un projet ayant débuté à la fin des années 80, en réaction à l’hégémonie croissante des systèmes de classification américains et internationaux. Sous la direction de Roger Misès, des cliniciens travaillant en pédopsychiatrie ont souhaité proposer une classification suivant d’autres principes que l’approche catégorielle du DSM.
La CFTMEA est en effet construite sur une approche dimensionnelle du sujet, dans un ensemble théorique composite cherchant à marier la clinique traditionnelle et les avancées de la recherche. Le but n’est pas de distinguer un trouble précis parmi un ensemble, mais de repérer une organisation pathologique à un moment donné. Ce type de classification se différencie des standards internationaux sur au moins trois points :

La pathologie est vue comme un mode d’organisation psychique du sujet
Plus qu’un « cas » à définir, le sujet est vu comme un être ayant une certaine organisation psychique. Repérer l’organisation plutôt que la situation génère des diagnostics mutatifs permettant de bâtir des modalités thérapeutiques axées sur la possible transformation psychique. Davantage qu’une détermination critériologique, il s’agit ici d’une recherche de sens donnant plus de poids à la rencontre du sujet qu’à son observation standardisée. Cette approche dimensionnelle est donc en contradiction avec la revendication de scientificité d’autres classifications. Il est question ici d’une revendication de subjectivité, avec l’idée qu’un diagnostic s’effectue sur une rencontre plutôt que sur une évaluation.

Elle n’est pas une classification en « système expert » mais un « système pour experts »
Le présupposé dimensionnel de la classification impose au diagnosticien une expérience clinique et une connaissance approfondie de la psychopathologie. Loin d’être un système expert, il s’agit d’un guide secondaire permettant aux observations cliniques de trouver sens au sein d’un système de regroupement plus que de détermination.

Il n’y a pas de clivage entre psychose et handicap
Le principal reproche adressé à la CFTMEA concernant l’autisme est son maintien dans le champ de la psychose infantile. La tendance internationale, ainsi que la loi(1), place l’autisme comme un handicap et non comme une maladie. De ce point de vue, la classification française est à contrecourant. Il paraît important d’élucider en quoi le fait de placer cette pathologie dans le champ de la psychose modifie radicalement son appréhension.
Considéré comme psychose infantile, l’autisme est perçu comme un « mode de fonctionnement psychique » plus que comme une situation fixe. Cela provient d’une volonté d’insister sur l’importance de ne pas réduire la personne à sa pathologie. Bien que certains auteurs aient pu hasarder des idées au niveau de l’étiologie psychotique, cela ne doit pas faire oublier qu’il est possible de parler de psychose sans y souscrire. En tant que personne atteinte de psychose, l’autiste devient un sujet de soin à comprendre plutôt qu’un objet-diagnostic à élucider, ce qui était le but premier lors de la constitution de la CFTMEA à la fin des années 80. Ainsi, il n’y aurait pas « telle pathologie créant tel handicap » mais « telle pathologie et tel mode de compensation mis en œuvre par le cerveau, créant telle situation de vie comportant de la vulnérabilité ».
Par ailleurs, pour les concepteurs de cet outil, la maladie n’empêche pas le handicap, ce qui est également une vision des choses n’entrant pas tout à fait dans le cadre international actuel. Pour ces cliniciens, il est aussi essentiel d’adapter l’environnement à la personne (puisque la vulnérabilité s’entend dans le lien personne/environnement) que de chercher à comprendre son fonctionnement intrapsychique (ne serait-ce que pour pouvoir adapter son environnement). La classification française tente donc d’allier les progrès récents issus du champ des neurosciences et de la neuropsychologie avec une considération pour le fonctionnement psychique de la personne.
En résumé, placer l’autisme dans le champ de la psychose infantile ne cherche pas à ressusciter des conceptions extrêmes concernant la responsabilité parentale, mais bien à replacer le sujet au centre du débat en cherchant à comprendre ce qu’il vit au niveau existentiel.

Comme toutes les classifications, cet outil n’est cependant pas dénué de limites :

La CFTMEA n’est pas une classification supposée valide par la HAS
En effet, l’absence de consensus autour des théories sous-jacentes a amené la Haute Autorité de Santé à ne pas considérer cette classification comme valide. Ainsi, aucun acte officiel ne peut se servir des critères diagnostiques de cet outil.

Ce qu’elle gagne en sensibilité, elle le perd en fiabilité
La sensibilité de cette classification est très solide. Il est possible, en l’utilisant, de distinguer des formes très proches de pathologie autistique (forme limite, forme de passage, forme résiduelle, forme cicatricielle….), ce que ne permet pas de faire le DSM ou la CIM en raison d’une grande faiblesse sur ce critère. D’ailleurs, d’aucuns considèrent les fameux « TED-NS » comme un « assemblage chimérique » regroupant toutes ces formes partielles non prises en compte dans le DSM.
Cependant, la subjectivité inhérente au fonctionnement de la classification en fait un outil particulièrement dépourvu de fiabilité. Ainsi, le diagnostic d’un clinicien ne sera pas nécessairement le même qu’un autre, ce qui pose effectivement problème lorsqu’il s’agit de rechercher un consensus. Par ailleurs, cela suppose un manque de stabilité au niveau des diagnostics. Cela est certes revendiqué (puisque la pathologie psychotique est vue comme mutative) mais peu propice à une reconnaissance en tant que standard international, puisque ne permettant pas d’étude épidémiologique fiable.

En résumé, la CFTMEA est une classification demandant une expertise plus approfondie du diagnosticien, tout en ne permettant pas de détermination fixiste au niveau pathologique. Cela l’empêche de devenir un standard international car son but est de fournir un regroupement sémiologique guidant la décision clinique plutôt qu’un système critériologique se voulant objectif.

Nous allons à présent présenter la classification de l’autisme que cet outil propose, ainsi que les critères retenus pour l’autisme infantile précoce.

CFTMEA-R (2000)

CFTMEA-R-2012

Psychose précoces (TED)

Autismes et TED

 

Autisme infantile précoce – type Kanner

Syndrome de Rett

Troubles désintégratifs de l’enfance

Syndrome d’Asperger

Autres formes de l’autisme

Psychose précoce déficitaire

Autres psychoses précoces ou autres TED

Dysharmonies psychotiques

 

Autisme infantile précoce – type Kanner

Troubles désintégratifs de l’enfance (dont syndrome de Rett)

Syndrome d’Asperger

Autres formes de l’autisme

Autisme ou TED avec retard mental précoce

Autres TED

TED non spécifié

Dysharmonie multiples et complexes du développement (dysharmonies psychotiques)*

*Le terme de Dysharmonies multiples et complexes du développement (MCCD en anglais) est proposé en parité avec celui de Dysharmonies psychotiques car ils regroupent sensiblement les mêmes pathologies, tout en provenant de deux champs différents (les MCCD sont issues des recherches de l’équipe de Yale).

Critères de la CFTMEA-R-2012 pour l’autisme infantile précoce- type Kanner
1. Début généralement au cours de la première année avec présence des manifestations caractéristiques avant l’âge de 3 ans.
2. Association de :
- troubles majeurs de l’établissement des relations interpersonnelles et des relations sociales ;
- altération qualitative de la communication (absence de langage, troubles spécifiques du langage, déficit et altération de la communication non-verbale) ;
- comportements répétitifs et stéréotypés avec souvent stéréotypies gestuelles;
- intérêts et jeux restreints et stéréotypés ;
– recherche de l’immuabilité (constance de l’environnement) ;
– troubles cognitifs.

Exclure :
– les autres sous-catégories « Autisme et TED » ;
– les déficiences intellectuelles dysharmoniques ;
– les démences ;
– les troubles complexes du langage oral.

(1) Notamment celle de 2005 en France.