La triade autistique

Au sein de la CIM-10 et DSM-IV-TR, l’autisme peut faire référence à plusieurs troubles, entrant dans la catégorie des « TED ». Nous nous contenterons de parler du « Trouble autistique », qui correspond à peu près à l’autisme de Kanner.
Pour ces classifications, l’autisme infantile se caractérise par une atteinte de trois composantes du comportement humain (« triade autistique ») ; variable en gravité et en date d’apparition. Il s’agit d’une atteinte de l’interaction sociale réciproque, d’une déficience de la communication verbale et non-verbale et d’une restriction du répertoire d’intérêts et de comportements.

Trouble dans le développement de l’interaction sociale réciproque
Il est question ici d’un détachement plus ou moins marqué et/ou d’une passivité dans les interactions sociales avec autrui. La personne présente un intérêt fugace ou inexistant pour ce que fait ou exprime l’autre. C’est la réciprocité qui est ici en cause, et non la fréquence de communication. Même lorsque la personne est très encline au contact, ce dernier semble plus formel et utilitaire que relationnel. Les observations font fréquemment état d’une impression d’unilatéralité et d’intrusion, un peu comme si l’interlocuteur était considéré comme un objet et non comme une personne impliquant qu’il faille tenir compte de ses idées et de ses ressentis.
Tout ceci permet de poser un premier repère diagnostique, déjà relevé par Asperger en 1944 : la limitation de l’empathie du sujet. Cela renvoie également à la notion d’aloneness de Kanner.
Ce critère ne signifie pas que la personne atteinte d’autisme n’est pas capable d’avoir des émotions ou de pouvoir manifester son affection, mais plutôt qu’elle éprouve des difficultés particulières à imaginer les émotions des autres, à « penser que l’autre pense » (la fameuse « théorie de l’esprit » de la neuropsychologie).

Déficience de la communication verbale et non-verbale
La communication verbale fait directement référence à l’existence, l’emploi et la compréhension du langage, tandis que le non-verbal concerne les aspects plus corporels et posturaux.
Au niveau du langage, il est rapporté un développement assez inégal : certains ne l’acquièrent jamais tandis que d’autres le développent jusqu’à un niveau dit « normal ». Par ailleurs, il est signalé des situations d’acquisition du langage suivies de désintégration des acquis, généralement entre 18 mois et deux ans. Pour les personnes développant un réel langage, celui-ci est décrit comme atypique : on note en effet la présence fréquente d’écholalies, d’inversions pronominales et de néologismes(1).
En terme de réceptivité, une difficulté particulière est observée : les personnes en situation d’autisme manifestent une compréhension altérée des concepts verbaux abstraits, contrairement aux concepts concrets, qui semblent bien mieux saisis.
Au niveau non-verbal, plusieurs comportements sont signalés, certains étant très spécifiques. L’évitement du regard de l’autre et la difficulté à décoder ses expressions faciales et gestuelles sont en effet caractéristiques. Enfin, les personnes manifestent des réactions particulières au contact corporel : l’indifférence peut laisser place à une réaction émotionnelle négative de grande ampleur.
Il apparaît donc que ce critère concerne principalement une altération des compétences relationnelles permettant d’engager et/ou de réguler avec succès une interaction sociale. Cette difficulté fait écho au premier critère (atteinte de la reconnaissance et de l’identification des émotions d’autrui) tout en étendant sa caractérisation aux aspects plus généraux de la communication.

La restriction du répertoire d’intérêt et de comportements
Au niveau de l’intérêt, les recherches montrent un certain appauvrissement au niveau de l’imagination. Le défaut de symbolisation chez l’enfant est à ce titre caractéristique. En effet, il a été remarqué une absence de « faire semblant », c'est-à-dire une difficulté à manier l’accouplement entre signifié et signifiant (ce qui rappelle les difficultés concernant le matériel verbal abstrait). Cela se perçoit par exemple chez l’enfant dans l’absence de jeu « comme si ». Une petite voiture en plastique sera ainsi rarement utilisée dans un jeu où elle roule « comme une vraie ».
Lorsque les personnes ont pu exprimer des capacités intellectuelles, on remarque une centration inhabituelle sur des sujets bizarres ou atypiques.
Au niveau des comportements, la recherche d’immuabilité de l’environnement (la fameuse sameness de Kanner) est spécifique. Les changements, aussi infimes puissent-ils paraître, peuvent déclencher une profonde détresse chez la personne. Dans le registre actif, des répétitions de gestes simples ou complexes sont relevées. La manipulation de l’objet est décrite comme inhabituelle, notamment dans sa centration sur les aspects sensorimoteurs au détriment des dimensions symboliques.

Cette « triade autistique » semble donc constituer une atteinte de trois capacités fondamentales de l’individu : la possibilité d’attribuer à l’autre des émotions et des ressentis, l’intérêt pour la dimension sociale et la tolérance à l’imprévisibilité. Nous retrouvons ici l’autisme tel que le concevaient Kanner et Asperger, hormis le maintien des capacités intellectuelles qu’ils décrivaient. Les avancées dans les domaines des neurosciences et de la neuropsychologie peuvent éventuellement expliquer un repérage plus fin des difficultés vécues par les personnes à ce niveau.
Cette triade, pour généraliste qu’elle soit, permet de situer l’autisme comme une pathologie de l’interaction sociale basée sur des difficultés dans l’appréhension de l’autre comme individu pensant. Avant d’aborder plus avant cette dimension particulière, il semble intéressant de présenter les critères diagnostiques officiels de la CIM-10, issus de ces observations.

Critères CIM-10 pour poser le diagnostic d’autisme infantile
A. Présence, avant l’âge de 3 ans, d’anomalies ou d’altérations du développement, dans au moins un des domaines suivants :
1) Langage (type réceptif ou expressif) utilisé dans la communication sociale ;
2) Développement des attachements sociaux sélectifs ou des interactions sociales réciproques ;
3) Jeu fonctionnel ou symbolique.

B. Présence d’au moins six des symptômes décrits en (1), (2), et (3), avec au moins deux symptômes du critère (1) et au moins un symptôme de chacun des critères (2) et (3) :
(1) Altérations qualitatives des interactions sociales réciproques, manifestes dans au moins deux des domaines suivants :
(a) absence d’utilisation adéquate des interactions du contact oculaire, de l’expression faciale, de l’attitude corporelle et de la gestualité pour réguler les interactions sociales ;
(b) incapacité à développer (de manière correspondante à l’âge mental et bien qu’existent de nombreuses occasions) des relations avec des pairs, impliquant un partage mutuel d’intérêts, d’activités et d’émotions ;
(c) manque de réciprocité socio émotionnelle se traduisant par une réponse altérée ou déviante aux émotions d’autrui ; ou manque de modulation du comportement selon le contexte social ou faible intégration des comportements sociaux, émotionnels, et communicatifs ;
(d) ne cherche pas spontanément à partager son plaisir, ses intérêts, ou ses succès avec d’autres personnes (par exemple ne cherche pas à montrer, à apporter ou à pointer à autrui des objets qui l’intéressent).
(2) Altérations qualitatives de la communication, manifestes dans au moins un des domaines suivants :
(a) retard ou absence totale de développement du langage oral (souvent précédé par une absence de babillage communicatif), sans tentative de communiquer par le geste ou la mimique ;
(b) incapacité relative à engager ou à maintenir une conversation comportant un échange réciproque avec d’autres personnes (quel que soit le niveau de langage atteint) ;
(c) usage stéréotypé et répétitif du langage ou utilisation idiosyncrasique de mots ou de phrases ;
(d) absence de jeu de « faire semblant », varié et spontané, ou (dans le jeune âge) absence de jeu d’imitation sociale.
(3) Caractère restreint, répétitif et stéréotypé des comportements, des intérêts et des activités, manifeste dans au moins un des domaines suivants :
(a) préoccupation marquée pour un ou plusieurs centres d’intérêt stéréotypés et restreints, anormaux par leur contenu ou leur focalisation ; ou présence d’un ou de plusieurs intérêts qui sont anormaux par leur intensité ou leur caractère limité, mais non par leur contenu ou leur focalisation ;
(b) adhésion apparemment compulsive à des habitudes ou à des rituels spécifiques, non fonctionnels ;
(c) maniérismes moteurs stéréotypés et répétitifs, par exemple battements ou torsions des mains ou des doigts, ou mouvements complexes de tout le corps ;
(d) préoccupation par certaines parties d’un objet ou par des éléments non fonctionnels de matériels de jeux (par exemple leur odeur, la sensation de leur surface, le bruit ou les vibrations qu’ils produisent).

(1) Respectivement : répétition des mots adressés au sujet par autrui (« tu te sens bien ? » - « sens bien ? »), substitution Je/Tu et création de mots n’existant pas dans le répertoire linguistique considéré.